Turbulences
- Vtunes
- 11 mai 2024
- 3 min de lecture
Le problème avec un vol tôt le matin, c’est qu’à l’arrivée à l’aéroport, tout est fermé. On attend donc à l’enregistrement des bagages, à la sécurité et aux douanes. Personne n’est levé à cette heure.
On me fait passer dans la machine à cancer dans laquelle je dois lever les mains en l’air. Pourquoi pas à gauche comme la dame avant moi, par la porte où on entre comme dans un moulin? J’ai bougé! Tout est à recommencer.
La deuxième fois, la machine détecte deux objets suspects, dont un juste en bas de la ceinture. Je passe alors un test manuel, qui conclut ce que je sais depuis longtemps. Je suis inoffensif.
Ma thèse du cancer est loin d’être tirée par les cheveux. Comment une machine peut détecter deux objets suspects imaginaires sans laisser une trace délétère dans mon organisme?
Heureusement, je suis végan. Et comme tout le monde sait, un végan ne meurt jamais du cancer. Il meurt de solitude.
L’autre soir, je n’étais pas végan, car le serveur s’est trompé avec la commande d’à côté. Au lieu d’avoir de la viande impossible, j’ai eu celle qui est possible, tellement qu’on la reçoit sans même l’avoir commandée.
Dans l’attente de ma nouvelle commande, j’ai bu deux bières, peut-être développé un cancer, et mangé une montagne de frites. Le burger que je croyais impossible arrive enfin, à une heure où on n’est plus supposé manger mais dormir. Allez, ce soir je m’éclate!
De retour à l’aéroport. Juste avant de monter dans l’avion, j’opte pour un délicieux bol végan arrosé de sauce soya. Quelques minutes plus tard, alors que je gagne mon siège situé tout près de la première classe en vertu d’un coup du destin, je suis pris d’une soif irrésistible, comme si je venais de courir un marathon.
Justement, un agent de bord remonte l’allée avec le premier service. L’eau étanche ma soif instantanément et le soulagement est intense. Il y a un Dieu pour les gauchers.
On nous annonce bientôt des turbulences. C’est généralement dans ces moments-là que je commence à philosopher sur ma vie.
A-t-elle été bien remplie? Serait-elle considérée inachevée? Quelqu’un publierait-il enfin mon hexalogie, qui dort quelque part sur un disque dur? Les prouesses d’Alcaraz sur la terre battue madrilène aurait-elle encore un sens, sans que son plus grand admirateur ne puisse les observer?
Ma muse irait-elle au bout de tous ses projets les plus fous, sans que je sois là pour l’aider à en choisir seulement quelques-uns?
Je suis de plus en plus convaincu que les turbulences sont là pour nous faire apprécier la vie. À nous faire voir les autres sous leur meilleur jour, sachant qu’on ne les reverra peut-être jamais. À mettre un peu d’ordre dans nos idées, dans nos priorités.
À travers mes profondes divagations, un slogan publicitaire surgit tout à coup dans mes pensées. « We love to fly, and it shows. » Je vole sur les ailes de Delta.
Des années de publicité télévisée ont marqué au fer rouge ces mots rassurants dans mon cerveau. Je me dit que s’ils aiment ça, ce n’est sûrement pas dangereux. Jamais une publicité n’aura été aussi salvatrice.
N’empêche, avec tout ce que l’on entend ces jours-ci, qu’est-ce qui me dit que la porte à côté de moi est bien ancrée? En tout cas, si jamais on joue de malchance, je suis confiant que quelqu’un retrouvera mon iPhone et pourra vous lire cette chronique.
Je m’en vais sans rancune. De toute façon, ça doit être un sentiment difficile à entretenir dans l’au-delà. L’ingénieur fautif sera bien châtié un jour ou l’autre. Et malgré sa bourde, je ne vais pas à sa cheville en matière de conception aéronautique.
Pour la petite histoire, j’avoue que l’idée m’avait traversé l’esprit de venir à Salt Lake City en voiture. Vu sous cet angle, vous comprenez pourquoi je crois que la vie est un coup de dés à répétition.
Dernière chose, je tiens à confirmer que je n’ai jamais aimé les jeux de société. Mais j’ai aimé les jeux et la société probablement plus que la moyenne des gens.
Nous approchons Minneapolis. Dans cet aéroport où je mettrai les pieds pour la première fois (pour la dernière?), je devrai tout réapprendre des rouages aéroportuaires, le temps d’une escale. Puis, tout sera à recommencer, incluant les turbulences, pendant lesquelles je verrai une fois de plus ma vie défiler devant moi.
Cette vie que j’ai tant embrassée que j’ai peine à croire qu’elle pourrait instantanément se dérober sous mes pieds. Et moi qui prévoyais acheter de nouveaux souliers à Salt Lake City. Dommage.
Je vous ai tous aimés profondément, même quand il n’y avait pas de turbulences. Demandez à Darwin, ma muse pour l’éternité, grande protectrice des pinsons de Gould, avec laquelle j’ai vécu des moments parfaits.
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